Restitution des biens culturels africains : où en est réellement l’Europe ?

L’annonce par le président français de sa volonté de restituer à l’Afrique ses biens culturels pillés a ouvert le débat sur cette question. Au-delà des pays, c’est l’Union européenne même qui tente de la prendre en charge.

Paris a ouvert la voie sur la question de la restitution des biens culturels. Et l’Europe a dû suivre.

En novembre 2017, à Ouagadougou, le président français Emmanuel Macron s’est engagé à ce que, d’ici à cinq ans, les conditions soient réunies pour que les dizaines de milliers de biens culturels arrivés en France durant la période coloniale reviennent dans leur pays d’origine, de manière définitive ou temporaire. Stupeur en Europe, où jusqu’ici les revendications dans ce sens étaient traitées au cas par cas. C’était aussi la première fois que la volonté politique surpassait le débat public. Le 22 mars, l’Élysée a confié à l’historienne ­Bénédicte Savoy et à l’économiste sénégalais Felwine Sarr un rapport devant contenir des propositions concrètes d’actions qui devrait être rendu public fin novembre. Mais qu’en est-il dans les autres pays d’Europe  ?

Le discours de Ouagadougou engage aussi l’Europe

Il faut dire que cette question n’est pas nouvelle sur le Vieux Continent. En 1981 un rapport avait été présenté concernant le cas des pays africains. Mais, à l’époque, on craignait l’effet de « contagion. » Depuis, plus globalement, des pays comme l’Égypte ou la Grèce n’ont eu de cesse de réclamer le retour d’antiquités, mais c’est avec l’Afrique que l’Europe se montre plus réceptive après avoir longtemps argué que les conditions de conservation et de sécurité dans les musées africains n’étaient pas adéquates.

Du British Museum de Londres au musée Tervuren en Belgique (devenu Africa Museum après cinq ans de travaux de rénovation, NDLR), les collections européennes débordent d’objets d’art dits « coloniaux », acquis dans des conditions parfois discutables. À l’époque, militaires, anthropologues, ethnographes, missionnaires qui sillonnent les pays conquis en ramènent des souvenirs souvent achetés ou troqués, quelquefois volés. Au total, plus de 90 % des pièces majeures d’Afrique subsaharienne se trouveraient hors du continent, selon les experts. Et l’Unesco soutient depuis plus de quarante ans le combat des pays qui, en Afrique et ailleurs, exigent la restitution de leurs biens culturels disparus lors de l’époque coloniale.

Quid des pays concernés  ?

Du côté du Royaume-Uni, le British Museum (plus de 200 000 objets africains) a proposé des prêts au Nigeria ou à l’Éthiopie, pillée lors d’une expédition britannique en 1868, mais rechigne à restituer des biens.

Le débat est plus avancé en Allemagne, sensibilisée à la question depuis les spoliations de l’ère nazie et elle-même pillée par l’Armée rouge.  La ministre fédérale de la Culture, Monika Grütters, a même expliqué à l’Unesco qu’il fallait s’appuyer sur les restitutions faites aux juifs spoliés pour aborder la question des objets africains présents en Europe. D’ailleurs, à de rares exceptions près : en 2003, le musée ethnologique de Berlin a ainsi rendu une précieuse statuette d’oiseau au Zimbabwe, ex-colonie britannique. Depuis plusieurs musées travaillent à identifier l’origine des milliers d’œuvres issues de l’époque coloniale, quand l’Allemagne avait notamment la main sur le Cameroun, le Togo ou la Tanzanie. La provenance des objets qui seront exposés au Humboldt Forum, le grand musée ethnologique qui doit ouvrir à Berlin, sera explicitée.

Mais c’est en Belgique que le débat s’est dernièrement emballé. Dans une lettre ouverte publiée le 25 septembre, 36 personnalités des mondes artistique, universitaire et associatif, en majorité afro-descendantes, ont dénoncé une « Belgique à la traîne sur la restitution des trésors coloniaux » par rapport à la France, l’Allemagne et le Canada. En réponse, un débat « participatif », intitulé « Restitution des biens culturels africains : question morale ou juridique ? », s’est tenu le 16 octobre au Parlement francophone bruxellois. Résultat  ? Un groupe d’experts va être installé, de même qu’une résolution visant à faire des propositions concrètement et des amendements à la loi, pour aller vers des restitutions concrètes. Des milliers d’objets d’art anciens congolais, dont certains datant de plus de 6 000 ans, sont entreposés au musée royal de Tervuren.

Dans tous les cas, les nouvelles propositions de l’UE vont venir compléter le cadre juridique existant relatif au commerce des biens culturels qui, jusqu’à ce jour, se limitait à la législation concernant l’exportation de biens culturels et la restitution de biens culturels ayant quitté illicitement le territoire d’un État membre de l’Union.

Ce qui va changer

Aujourd’hui, les choses ont changé et l’Union européenne (UE) a annoncé le 7 novembre dernier avoir pris des mesures pour lutter contre le trafic de biens culturels dans le but d’empêcher « l’importation et le stockage de biens culturels exportés illicitement depuis un pays tiers », annonce un communiqué officiel. Non seulement ces nouvelles règles aideront à préserver le patrimoine culturel de l’humanité, en particulier les objets archéologiques provenant des pays touchés par des conflits armés, mais elles contribueront également à empêcher le financement du terrorisme par ce type de trafic.

Les nouvelles règles visent les biens culturels créés ou découverts hors de l’UE, ou les objets d’art destinés à être mis en libre pratique ou placés sous un régime particulier autre que le transit. Ces mesures visent également les biens culturels de plus de 250 ans d’âge, ainsi que ceux ayant une valeur d’au moins 10 000 euros, précise le communiqué.

Ce qu’il faudra faire avant de ramener une œuvre d’art au sein de l’UE

En fonction de leur vulnérabilité face au pillage et à la destruction, les biens culturels sont, en vertu des nouvelles règles, divisés en deux catégories. Les plus vulnérables, tels que les objets archéologiques, les éléments de monuments et les manuscrits anciens, devront être accompagnés d’un certificat spécial délivré par un pays de l’UE. Ce certificat sera délivré si l’importateur apporte la preuve de l’exportation licite des biens en question depuis le pays source. Les autres, considérés comme moins vulnérables, seront importés sur la base d’une simple déclaration de l’importateur selon laquelle les biens en question sont exportés légalement. Mais des voix continuent de s’élever contre le retour de ces biens en Afrique, à cause des risques de disparition à la suite de pillages ou d’actes de vandalisme.

PAR VIVIANE FORSON

Publié le 17/11/2018 à 11:33 – Modifié le 17/11/2018 à 12:10 | Le Point Afrique

By |2019-06-23T22:49:03+00:00novembre 4th, 2018|AFRIQUE|0 Comments